Marie-Anne Detourbay est née à Reims dans une famille pauvre et nombreuse; on prétend que durant son enfance, elle fut employée à rincer les bouteilles de champagne. Elle monta à Paris où sous le nom de « Mademoiselle Jeanne de Tourbey » son étoile ne tarda pas à briller d'un grand éclat au firmament de la galanterie.
Elle eut pour premier protecteur Marc Fournier, directeur du théâtre de la Porte-Saint-Martin, qu'elle ruina et qui dut la « céder » au prince Napoléon, cousin de Napoléon III, qui l'installa magnifiquement dans un appartement de la rue de l'Arcade, à deux pas de l'avenue des Champs-Élysées. Elle ne tarda pas à y recevoir une assemblée exclusivement masculine où l'on voyait "le Tout-Paris des Lettres" : Ernest Renan, Sainte-Beuve, Théophile Gautier, Lucien-Anatole Prévost-Paradol, Émile de Girardin.
Par sa meilleure amie, la comédienne Joséphine Clémence d'Ennery, alias Gisette, elle fit la connaissance de Gustave Flaubert, qui tomba amoureux d'elle et lui écrivit des lettres enflammées.
Vers 1862 elle rencontra Ernest Baroche, fils du ministre de Napoléon III, maître des Requêtes au Conseil d'État et directeur du Commerce Extérieur au ministère de l'Agriculture (et industriel du sucre) qui en fut extrêmement amoureux, et se serait fiancé avec elle. Commandant du 12e bataillon des Mobiles de la Seine, il fut tué au combat au Bourget le 30 octobre 1870 - le lendemain de la mort de son père, enfui à Jersey - lui laissant l'énorme somme de 800 000 francs-or - équivalente à 2,4 millions d'euros - ce qui lui permit d'épouser en 1872 l'authentique comte Victor Edgar de Loynes, officier carabinier démissionnaire.
Ce mariage la fit accéder à la haute société, mais les époux ne tardèrent pas à se séparer, le comte partant pour l'Amérique où il disparut; bien que le mariage n'ait été que religieux, car la famille de son époux s'était opposée à leur union civile, elle porta et conserva l'usage des nom et titre de Comtesse de Loynes (ce nom est encore porté par une famille des Deux-Sèvres).
Ses réceptions gagnèrent en prestige; désormais, elle recevait tous les jours entre 5 et 7 heures. Sa "surface mondaine" s'accrut encore lorsqu'elle s'installa sur l'avenue des Champs-Élysées même. Aux célébrités du Second Empire succédaient celles de la Troisième République naissante, nouveau régime que la comtesse de Loynes n'aimait guère : Georges Clemenceau, Georges de Porto-Riche, Alexandre Dumas fils, Ernest Daudet, Henry Houssaye, Pierre Decourcelle, et bientôt toute une pléiade de jeunes écrivains et musiciens emmenés par Maurice Barrès, qui lui offrit ses deux livres Huit jours chez M. Renan (1890) et Du sang, de la volupté, et de la mort (1894), luxueusement reliés pour elle par Charles Meunier en 1897 - réf. : "Vente de très beaux livres des XIXe et XXe siècles" à Paris-Drouot le 4 juin 1986 - arch. pers.) Paul Bourget, Marcel Proust, Georges Bizet et Henri Kowalski.
Au cours de années 1880-1885 elle rencontra chez Arsène Houssaye le critique Jules Lemaître, de quinze ans son cadet, et qui allait devenir l'homme de sa vie. Sous son impulsion, il devait fonder en 1899, la Ligue de la patrie française dont il deviendrait le premier président.
Portant haut les couleurs du nationalisme, ils mirent leurs espoirs politiques - comme, entre autres personnalités, la duchesse d'Uzès - dans le général Boulanger et devinrent passionnément anti-dreyfusards (V. Affaire Dreyfus), ce qui entraîna la rupture avec certains de leurs amis comme Georges Clemenceau (qui aurait été son intime), Georges de Porto-Riche ou Anatole France.
Elle reçut alors dans son salon Édouard Drumont, Jules Guérin, ou Henri Rochefort.
« Vers 1901, [...] tous les soirs, un peu avant sept heures – on dînait très exactement à sept heures chez Mme de Loynes – M. Jules Lemaître remontait la rue d'Artois [...] pour se rendre au fameux entresol où l'attendait une femme blondie, fardée, et qui paraît de satins clairs une soixantaine largement dépassée. [...] Dans son salon, Mme de Loynes opposait crânement ses cheveux décolorés, ses rides et ses atours tapageurs au portrait qu'avait fait d'elle Amaury-Duval : une jeune femme brune, aux cheveux sages, strictement vêtue de velours noir[1]. »
À la fin de sa vie, en janvier 1908, Mme de Loynes aida Charles Maurras et Léon Daudet à fonder l'Action française (quotidien) en offrant 100 000 francs-or.
La comtesse de Loynes a été inhumée au cimetière Montmartre, où elle a rejoint ses parents (30e division, 8e ligne, no 20, chemin Guersant). On pensa un temps que sa tombe, longtemps abandonnée, avait été détruite pour défaut d'entretien et la concession reprise, mais elle est jusqu'à ce jour restée en place, seulement dissimulée par une végétation luxuriante.
http://fr.m.wikipedia.org/wiki/Comtesse_de_Loynes
http://www.wikigallery.org/paintings/80001-80500/80349/painting1.jpg